En amont du spectacle La Conférence des oiseaux, nous avons échangé quelques minutes avec son metteur en scène, Petr Forman.

Comment avez-vous découvert le travail de Farid al-Din Attar ?

Cela faisait plusieurs années que nous cherchions une nouvelle forme pour l’un de nos spectacles, qui combinerait à la fois image et théâtre, et cet ouvrage de Farid al-Din Attar (La Conférence des oiseaux) s’est imposé comme une évidence. J’ai tout de suite imaginé ce spectacle comme un conte. Je souhaitais qu’il s’adresse à tous les publics, même si nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il était très philosophique, poétique, avec de magnifiques textes puissants et un vocabulaire très riche.
J’aimais particulièrement l’idée du voyage des oiseaux, et je tenais à ce que nous parvenions, techniquement, à faire voyager les spectateurs grâce à des images 3D projetées. L’immersion du public est au cœur du projet.

Puisqu’on parle de votre souhait de faire de ce spectacle un conte… Quand j’ai vu cet imposant chapiteau blanc à rayures, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Tim Burton. Est-ce une inspiration ?

(rires) C’est une longue histoire, ce chapiteau.

J’ai tout mon temps.

En fait, nous avons tout de suite su qu’il nous faudrait créer un lieu spécifique pour jouer cette pièce, vu ce que nous avions en tête.
Au tout début, nous voulions qu’il ait la forme d’un oiseau couché, mais les ingénieurs à qui nous avons présenté l’idée n’étaient disons… pas aussi enthousiastes que nous (rires).
Il a donc fallu grandement simplifier la structure, pour des raisons techniques. Très vite, entre nous, on a fini par dire que ça ressemblait plutôt à un cochon…

Ah oui, rien à voir ! (rires)

Blague à part, les couleurs du chapiteau sont une référence au personnage principal : la huppe fasciée. Bon, ce n’est pas tout à fait la même teinte que ses plumes, je vous l’accorde, mais ce sont bien ses couleurs qui nous ont inspirés.

Et concernant les costumes, qui sont aussi des éléments majeurs du spectacle ?

C’était vraiment un projet dans le projet. Nous avons beaucoup travaillé tous ensemble les mouvements avec les comédiennes et comédiens.
Vous savez, je suis assez « old school » en ce qui concerne les costumes. Pourtant, nous étions bien conscients que ce spectacle devait être très visuel.
À l’origine, nous avions imaginé des combinaisons complètes d’oiseaux, très colorées, avec des ailes, une queue, etc. Mais, une fois de plus, cela n’était pas possible techniquement, car il fallait permettre aux artistes de jouer pleinement.
Il a donc fallu faire des compromis pour que la scénographie et l’univers visuel s’imbriquent parfaitement, et que tout soit cohérent entre le plateau et les images.

Je tiens d’ailleurs à saluer l’énorme travail d’interprétation réalisé par chaque comédienne et comédien. C’était essentiel de différencier les personnages, visuellement mais aussi par leurs attitudes. Je les félicite toutes et tous d’avoir réussi ce pari malgré les contraintes imposées par les costumes.

Puisqu’on parle du travail colossal qu’a nécessité ce spectacle, combien de temps a-t-il fallu pour en arriver là exactement ? Il me semble avoir vu « 2022 » dans le dossier de présentation.

Nous avons réalisé une première répétition en mai 2022, effectivement, mais le travail sur le scénario avait commencé environ un an plus tôt.
Nous avons ensuite organisé une seconde session de répétitions en juin 2023, pendant quelques semaines, avant de véritablement monter le projet dans sa forme actuelle en 2024, avec ce chapiteau, les images et toute l’équipe artistique.

Évidemment, un projet aussi ambitieux, mêlant autant de disciplines (théâtre, cirque, danse, vidéo…), nécessite énormément de temps. C’est logique.

Quand je crée un nouveau spectacle, je cherche toujours à innover, à proposer quelque chose de différent, même si l’équipe reste parfois la même d’une création à l’autre.
Encore une fois, je suis assez « old school » dans mon approche du théâtre, et travailler avec la 3D sur La Conférence des oiseaux a été un vrai défi.
Mais je ne suis pas du genre à utiliser à tout prix la dernière technologie dans mes créations, vous voyez ? Pour moi, une technologie est un atout, un outil — mais ce n’est jamais une fin en soi.

Revenons au texte en lui-même. Des compromis ont-ils aussi été nécessaires à ce niveau-là ?

Bien sûr. Mais grâce à Ivan Arsenjev, avec qui j’ai travaillé sur le scénario et qui s’est totalement immergé dans le texte original, nous avons réussi à respecter le sens de l’œuvre, tout en simplifiant certains passages pour qu’ils restent accessibles à toutes et tous.

Sur un tout autre sujet : quel(s) spectacle(s) vous a/ont fait devenir l’artiste que vous êtes aujourd’hui ?

Il y a eu deux spectacles, ou plutôt deux événements, qui ont changé ma vie.

D’abord, il faut savoir qu’à l’origine, je me suis orienté vers ce métier en passant par une école de marionnettes en Tchécoslovaquie (un pays qui a disparu avec la chute du bloc soviétique, début 90). La marionnette est une véritable tradition chez nous.
Comme j’étais le premier de la classe, j’ai eu la chance de participer à un projet forain, une sorte de parc en plein air avec de nombreuses activités.
Je ne crois pas qu’il y ait d’équivalent en France. Petite parenthèse : il faut savoir que ce type d’événements était interdit à l’époque par le gouvernement soviétique. Les artistes étaient très surveillés.
C’est donc en participant à ce grand événement que j’ai découvert pour la première fois les arts de la rue.

Ensuite, si je devais citer un spectacle en particulier, ce serait La Volière Dromesko.

C’était un spectacle merveilleux et complexe, qui m’a profondément marqué. C’était aussi cette époque où le cirque nouveau commençait à émerger. Le mur venait de tomber.
Par la suite, nous avons même eu la chance de collaborer sur différents projets. Cette rencontre a été un moment clé dans ma carrière.

En lien avec ma question précédente : si vous n’aviez pas exercé ce métier, qu’auriez-vous fait ?

Oh, c’est une question intéressante. Vous savez, j’ai toujours été très manuel.
Lorsque j’étais à l’école de marionnettes, je fabriquais moi-même mes marionnettes.
Je suis naturellement curieux, j’aime découvrir et apprendre. Avec mon frère, j’ai même fait de la poterie.
Et plus jeune, j’allais couper du bois dans la forêt avec mon père.
Donc je pense que je me serais volontiers tourné vers un métier manuel, vraiment.

Nous avons évoqué plus tôt les périodes politiques que vous avez traversées. Je me demandais si la situation géopolitique actuelle influençait vos créations, ou allait les influencer. Je remarque de plus en plus de spectacles engagés politiquement.

La situation mondiale actuelle est effectivement difficile.
Pour autant, ce n’est pas notre volonté de l’évoquer directement dans nos spectacles, même s’ils tournent, de manière générale, autour du thème de la liberté.
Ils sont toujours empreints d’espoir. Cela dit, La Conférence des oiseaux résonne effectivement très fortement avec l’actualité.

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