À l’occasion de son passage à L’Arc (scène nationale du Creusot) pour son spectacle I’m Deranged, CurioCity a rencontré la comédienne et actrice Mina Kavani en amont de la représentation.
Bonjour ! Merci pour cet entretien. Pour commencer, parlons un peu plus de ce seul-en-scène I’m Deranged. Quelle en est la genèse ?
Je dirais que l’idée est née dès mon arrivée au Conservatoire de Paris, en 2013. C’est vraiment un endroit qui m’a bouleversée artistiquement. J’y ai rencontré Jean-Damien Barbin, qui m’a façonnée comme un sculpteur : non seulement l’actrice, mais plus largement l’artiste que je suis devenue. Je lui dois beaucoup.
Ça, c’est pour le côté positif. Mais c’est aussi une période où j’ai ressenti une profonde solitude… Il régnait à l’école, à ce moment-là en tout cas, une ambiance étrange, très compétitive. Et puis j’étais « l’étrangère », il faut le dire. Heureusement, les choses ont beaucoup changé : aujourd’hui, les profils sont bien plus variés. Mais à l’époque, il y a treize ans, c’était différent.
À cette époque, j’écrivais des monologues que je mettais en scène, pendant que mes camarades reprenaient des classiques. Avec le recul, je me rends compte que tout était déjà là : mon univers artistique, mes obsessions.
Et puis il y a eu mes stages avec le metteur en scène Krystian Lupa, qui ont été également fondateurs pour moi. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai décidé de transformer ces notes en un spectacle. Ensuite est arrivée, en 2020, la résidence d’écriture : le spectacle est né dans la foulée, en 2021.
Ce fut une sorte de thérapie, si je comprends bien ?
Je dirais plutôt que j’en avais besoin. J’avais besoin de créer ces petites scènes. Il faudrait qu’on m’analyse pour savoir d’où tout cela vient exactement !
Vous savez, je pense qu’il est très difficile de savoir d’où vient réellement la création chez un artiste. C’est assez inconscient.
I’m Deranged est aussi un livre. Le texte est-il né avant la pièce, ou l’inverse ?
J’ai toujours écrit, depuis l’enfance. Mes textes ont été mis en forme pour la scène ; j’ai simplement mis de l’ordre, disons.
Puisque vous êtes également actrice au cinéma, une adaptation de I’m Deranged sur grand écran est-elle envisageable ?
Pour l’instant, au cinéma, je ne suis « que » actrice. Mais j’ai très envie de porter les sujets que j’aborde dans mes spectacles au cinéma. Cela arrivera sûrement un jour : l’image permet de transmettre autre chose que le théâtre.
Et inversement.
Exactement ! Pour l’instant, j’avais surtout besoin d’utiliser les mots.
Ceci dit, vous avez (peut-être inconsciemment) déjà abordé ces thèmes dans le film Aucun Ours de Jafar Panahi.
Mais oui ! Vous avez tout à fait raison. Ce qui est amusant, c’est que j’étais justement en pleine écriture de I’m Deranged lorsque Jafar Panahi m’a proposé ce rôle. Je me souviens même m’être demandé, devant la caméra, si ce n’était pas moi qui avais écrit ce personnage, finalement !
Vous revenez à L’Arc en mars 2026 pour une autre date et une nouvelle création : Ma Maison est Noire. Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots ?
Bien sûr ! C’est une adaptation des textes de la poétesse iranienne Forough Farrokhzad, qui vivait dans les années 1960 et qui est malheureusement décédée très jeune, à 33 ans.
C’était une grande figure de la liberté et de l’avant-gardisme, dont j’ai toujours admiré le travail. J’ai même rêvé de l’interpréter au cinéma, mais ce projet n’a jamais vu le jour. Je tenais toutefois à faire quelque chose autour de ses œuvres, mais sans entrer dans la biographie.
J’ai donc imaginé une création autour d’elle et de moi : une sorte de miroir entre elle, moi, la jeunesse iranienne et, plus largement, les femmes. J’avais envie que Ma Maison est Noire prenne plus d’amplitude.
Et donc, cette date à L’Arc sera l’une des premières ?
Exactement ! Ce sera même le deuxième lieu où la pièce sera jouée.
Pourquoi avoir choisi le titre Ma Maison est Noire, qui est aussi celui du documentaire de la poétesse ?
Ce n’est pas directement lié au documentaire, et pourtant il y a un lien. Dans ce film, elle évoque la laideur, en soulignant que ceux qui souffrent de la lèpre sont, paradoxalement, les plus beaux intérieurement, et inversement. Elle y parle de la laideur du monde, de la cruauté humaine… J’ai trouvé cela très inspirant.
Comment avez-vous découvert son œuvre ?
C’est quelqu’un de très connu : on pourrait la comparer à Camille Claudel ou à Frida Kahlo. Pourtant, ses écrits ont été très peu réédités et, lorsqu’ils l’ont été, souvent censurés ou transformés.
Comment avez-vous sélectionné les textes que vous mettez en avant ?
Je voulais vraiment raconter une histoire à travers ses textes. J’avais un chemin très clair dans ma tête : il s’agit bien d’une adaptation, de ma manière de percevoir le monde au regard de son travail.
C’est aussi une adaptation d’un conte persan que j’affectionne : La Conférence des Oiseaux. Mon oiseau, c’est Forough Farrokhzad (mais aussi moi-même). Ce personnage entame un voyage pour conquérir sa liberté ; car elle ne l’a pas dans l’Iran patriarcal de son époque. Elle part vers l’Europe et découvre que là-bas non plus, tout n’est pas rose car la nature humaine reste la même. Elle comprend que plus elle voyage, plus ce voyage est intérieur : c’est en elle que tout se joue, et cela traverse son art et sa poésie.
C’est surtout cela que je veux montrer dans mon spectacle en fait : le monde va mal, mais l’espoir se trouve dans l’art. Voilà ce que j’ai voulu montrer à travers ce spectacle.
C’est amusant : c’est justement une adaptation de ce conte qui a clôturé la saison dernière de L’Arc, et aujourd’hui, c’est vous qui ouvrez la saison !
Si vous n’aviez pas été artiste, qu’auriez-vous fait ?
Fleuriste. J’adore les fleurs !
Quel spectacle vous a le plus marquée personnellement ?
Tous ceux de Krystian Lupa, je pense. C’est le metteur en scène qui m’a le plus bouleversée dans ma vie. C’est inexplicable avec des mots. Place des Héros et Les Arbres à abattre m’ont particulièrement marquée et bouleversée.
Quels sont vos projets à venir, au-delà de I’m Deranged et Ma Maison est Noire ?
En ce moment, je suis en tournage, notamment avec Géraldine Nakache, à Bruxelles.
On suivra cela de près ! Merci à vous.
Merci à vous.