En amont du spectacle Après le lac de la compagnie Entre Chien et Loup, présenté au festival Chalon dans la Rue 2025, rencontre avec Camille Perreau, responsable de l’aspect artistique.
Pour commencer, vous êtes bien une compagnie bourguignonne ?
Oui, tout à fait. La compagnie Entre Chien et Loup est non seulement bourguignonne, mais plus précisément originaire de Saône-et-Loire. Nous sommes basés dans un petit village qui s’appelle Saint-Vincent-des-Prés, situé à une cinquantaine de minutes au sud de Chalon.
Parlons maintenant un peu plus du spectacle. Il est basé sur un roman, c’est bien cela ?
Absolument. Il s’agit, pour être précis, d’une réécriture d’un roman intitulé Le Monde sans oiseaux. Ce qui est formidable, c’est que cette réécriture a été faite par l’autrice elle-même, Karin Serres.
Comment avez-vous découvert ce roman ?
Nous travaillons avec Karin, qui écrit aussi pour le théâtre, depuis une dizaine d’années. Et, de manière fortuite, j’ai eu l’occasion de lire Le Monde sans oiseaux, son premier roman publié en 2013. Indépendamment de notre collaboration, ça a été pour moi un vrai choc esthétique.
Nous avons donc commencé à envisager une adaptation, une réécriture pour la scène. Même si, au final, ce n’est pas une scène traditionnelle puisque le spectacle se joue… en forêt.
Justement, puisque ce texte vous a profondément marqué, comment vous est venue l’idée de cette forme atypique de spectacle ?
Ce qui est très puissant dans ce roman, assez court par ailleurs, c’est la richesse évocatrice des images. C’est très typique de l’écriture de Karin : on reste toujours dans quelque chose qui pourrait être vrai, mais avec un léger décalage. C’est un récit à la frontière entre le réel et le fantastique. En le lisant, de nombreuses images me sont venues naturellement, et l’idée d’un spectacle en pleine nature s’est imposée.
Combien de temps a-t-il fallu pour construire ce spectacle ?
Chaque projet a son propre temps de gestation, mais celui-ci a été plutôt long.
L’envie d’adapter le roman remonte à 2016. Toutefois, ce n’était pas une priorité immédiate pour la compagnie. Cela fait environ trois ans et demi que je travaille activement dessus. Il y a d’abord eu toute une phase de réécriture avec Karin, puis la recherche de financements, avant d’entrer dans une phase plus concrète il y a un an, avec les répétitions, la finalisation du texte, la création des décors, costumes, bande sonore, etc.
Vous êtes donc une compagnie de Bourgogne, et j’ai vu que la première représentation s’est tenue à Cluny ?
Oui, et c’était une très belle aventure. Le spectacle a été créé en partenariat avec le théâtre de Cluny, à côté de chez nous. En 22 ans d’existence, c’était la première fois que nous jouions « à domicile ». C’était vraiment une expérience unique et précieuse.
Vous évoquez dans votre dossier des collaborations avec des organismes liés à la forêt. Était-ce important pour vous de les intégrer au projet ?
Oui, tout à fait. Même si le spectacle plonge le public dans une fiction, le choix de le jouer en forêt n’est pas anodin. J’ai mené tout un travail de recherche sur la forêt, sa gestion, son état actuel. Et j’ai constaté des similitudes entre la gestion de l’espace public urbain et celle des espaces naturels. Aller en forêt, c’est toujours être « chez quelqu’un » : une forêt est soit privée, soit communale, soit domaniale (donc gérée par l’ONF).
C’était donc essentiel d’associer ces partenaires, non pas forcément pour les répétitions, mais pour les phases finales, et surtout en tournée. Ils nous ont aidés à identifier et sécuriser les lieux. Par exemple, pour la représentation de ce soir, un bûcheron est intervenu pour élaguer certains arbres à risque. C’est d’autant plus intéressant que nous jouons à Chalon dans une forêt domaniale, gérée par l’ONF. Leur mission inclut ce qu’ils appellent la « multifonctionnalité » : la forêt n’est pas seulement une ressource économique, mais aussi un lieu de loisir, ouvert au public. Et notre démarche a été très bien accueillie par eux.
La création étant récente, quelle est la suite ? Prévoyez-vous une évolution de la forme ?
On l’espère ! Participer à Chalon dans la Rue est une belle opportunité, car c’est un moment où de nombreux programmateurs de festivals ou de théâtres sont présents. On espère que cela permettra au spectacle de partir en tournée l’été prochain, voire les étés suivants.
J’imagine qu’un spectacle en extérieur comme celui-ci n’est pas simple à jouer en hiver…
Effectivement, contrairement à d’autres de nos spectacles, celui-ci a une vraie saisonnalité printemps–été–automne. Même si, avec les changements climatiques, on peut se dire qu’il fera peut-être 20 degrés cet hiver… Mais oui, c’est un projet qui reste plutôt estival.
J’ai vu aussi que vous meniez pas mal de projets d’EAC (Éducation Artistique et Culturelle). Cela s’inscrit-il aussi dans cette création ?
Le spectacle Après le lac s’adresse à un public à partir de 14 ans. Nous avons conçu d’autres spectacles pour les enfants, autour desquels nous avons développé beaucoup de projets EAC. Ici, il y en a eu un peu moins, car la cible est plus adulte.
En revanche, durant les dernières phases de répétition, nous avons organisé plusieurs répétitions publiques et temps de rencontre avec les spectateurs. C’est toujours passionnant de voir comment ils perçoivent ce que nous avons voulu transmettre.
Cela peut aussi faire émerger des choses auxquelles on n’avait pas pensé, j’imagine ?
Exactement.
Puisque vous êtes à Chalon dans la Rue, avez-vous eu le temps de voir d’autres spectacles ou avez-vous eu des coups de cœur ?
Pour être tout à fait honnête, je n’ai même pas ouvert le programme. Je savais que je n’aurais absolument pas le temps. On est dans la forêt de 15h à 1h du matin, on dort un peu, et ça recommence !
Je me suis dit : Camille, ne regarde pas le programme, tu ne seras pas frustrée. Je suis certaine qu’il y a des dizaines de spectacles que j’aimerais voir, mais tant pis.
Pas de frustration si on ne regarde pas, donc.
Exactement ! En revanche, je me réjouis d’aller faire un tour à La Méandre, un collectif chalonnais installé au Port-Nord. C’est un lieu que j’adore, on y croise toujours des gens intéressants dans une super ambiance.
Y a-t-il un spectacle qui vous a donné envie de faire ce métier, ou qui vous a particulièrement marquée ?
Il y en a plusieurs, mais un en particulier m’a profondément bouleversée. C’était La Chambre d’Isabella de Jan Lauwers, vu au Théâtre des Carmes à Avignon il y a une vingtaine d’années. J’étais en lévitation du début à la fin.
Merci beaucoup pour cet échange. Je vous souhaite une excellente continuation… et un bon spectacle ce soir !
Merci à vous ! À bientôt, et… bon spectacle aussi !